Aung San Suu Kyi, l’icône fracassée – Bruno Philip
Le terrible exode des Rohingya – « un génocide » selon l’ONU – vient de remettre la Birmanie qui s’ouvre chaque année un peu plus aux
Occidentaux, sous les feux d’une actualité cruelle. Plus de 500 000 personnes ont été déplacées de force de l’état du Myanmar vers le
Bangladesh. Des massacres ont été perpétrés par l’armée birmane et des bouddhistes contre des femmes et des enfants. Effarée, l’opinion
internationale et la communauté diplomatique paralysée par le soutien de la Chine et de l’Inde au gouvernement birman, assistent une fois de
plus impuissantes à un crime contre l’humanité. La situation est d’autant plus incompréhensible que désormais Aung San Su Kyi est à la tête de
la Birmanie avec le titre de conseillère d’Etat c’est-à-dire de chef de l’Etat. Aujourd’hui, les chancelleries, les gouvernements, les intellectuels, les
ONG réclament que la Dame de Rangoun soit destituée de son prix Nobel de la Paix. L’Occident en avait fait une icône, elle est devenue un
monstre. La fée s’est transformée en sorcière. Comment la Birmanie est-elle parvenue à engendrer cet apocalypse ?
Pour comprendre l’exode des Rohingya, Bruno Philip qui a rencontré Aung San Su Kyi s’est intéressée à la psychologie de cette femme
longtemps persécutée par la junte militaire, assignée à résidence, éloignée de son mari britannique, le tibétologue Michael Aris, à l’enterrement
duquel elle ne put même pas assister et de ses enfants. Cette Antigone bouddhiste est tout d’abord la fille de son père, son grand amour
méconnu. Elle avait 2 ans quand le général Aung San, architecte de l’indépendance, fut assassiné par un rival. Or rien ne prédisposait cette
jeune fille éduquée à Oxford et New York à se lancer dans la politique. Choisie par le peuple pour incarner la figure charismatique de l’
opposante, elle connaitra de longues périodes de prison ou de résidence forcée tout en faisant preuve d’un courage, d’une détermination mais
aussi d’un humour qui suscitent l’admiration. Mais elle veut venger son père c’est-à-dire parvenir aux plus hautes fonctions et à remplir la
mission d’Etat que sa mort prématurée l’avait empêché d’atteindre et de réaliser. Le nationalisme birman coule dans les veine d’Aung San Su
Kyi. Il apparaît aussi qu’elle a tout fait pour écarter les opposants à l’intérieur de son propre parti. Le caractère inflexible et autocratique de la «
Lady » est l’une des clés pour comprendre le drame des Rohingya.
Ce récit est une enquête psychologique captivante. Il s’ouvre sur un chapitre écrit cette fois par Rémy Ourdan, grand reporter de guerre, qui a
couvert l’exode des Rohingya du côté du Bangladesh, dans la région de Cox’s Bazar. Choses vues sur le terrain, qualité de l’observation et du
récit font de ce livre une contribution à l’Histoire immédiate de la Birmanie.
Bruno Philip est le correspondant du Monde en Asie du sud est depuis six ans. Après avoir vécu en Inde et en Chine.