Nous-Noirs américains évadés du ghetto
Quelques lignes dans Libération de ce mercredi, page 17, dans la rubrique Carnet. L’avis de décès de George Brown, transmis par ses proches, précise qu’il «était l’un des 4 de Fleury. Il s’est évadé définitivement le 9 octobre. Il avait 71 ans. Il sera incinéré ce jour au cimetière du Père-Lachaise». Le texte mentionne aussi le livre dont il était le coauteur, Nous Noirs américains évadés du ghetto.
La précédente mention de George Brown dans nos colonnes remonte à novembre 1978, à l’occasion du procès d’assises des «Quatre de Fleury». Qui étaient-ils ? Des militants des droits des Noirs emprisonnés à Fleury-Mérogis et dont les Etats-Unis réclamaient l’extradition. Ils n’étaient pas membres du parti des Black Panthers, comme on l’a souvent écrit, ni de sa branche armée, la Black Liberation Army, mais des activistes suffisamment déterminés pour détourner un avion de ligne le 31 juillet 1972.
Fuir la guerre du Vietnam
En fait, ils étaient cinq : les époux Jeane et Melvin McNair, le couple formé par Joyce Tillerson et George Brown, et George Wright. Plutôt, ils furent huit : Joyce avait emmené sa fille de 2 ans, et Jeane et Melvin leurs enfants de 1 et 2 ans. Leur intention était moins de marquer les esprits par un coup d’éclat que de fuir le pays du racisme, et la guerre du Vietnam pour les hommes. Le vol Delta Airlines 841 qui reliait Detroit à Miami prolongea sa route, après libération des passagers, vers Alger, à l’époque refuge des combattants anti-impérialistes.
Jeane et Melvin McNair, qui refirent leur vie en Normandie, avaient raconté à Libération leur histoire en 2012, à l’occasion de la diffusion par France 3 d’un beau documentaire, la Révolte et l’Exil, de Maia Wechsler. «Quand nous avons décidé de nous enfuir, la consigne était : surtout, pas de violence, avait confié Melvin. Des armes, nous en avions, mais nous n’avons menacé personne, le simple fait de les montrer était dissuasif.»
Le retour en Afrique sera de brève durée, l’Algérie ne tenant pas à héberger ces militants au moment où elle négocie la reprise de ses relations diplomatiques avec Washington. Les cinq se cachent en France, aidés par un réseau solidaire. En 1978, ils décident, à l’exception de George Wright, de quitter la clandestinité. Ils publient leur livre-témoignage au Seuil, et demandent le statut de réfugiés politiques. Qui leur est refusé. Arrêtés, ils sont jugés à Paris lors d’un procès largement relayé par les médias. Leur comité de soutien réunit le gotha de la gauche : Jean-Paul Sartre, Yves Montand, Simone Signoret…
Travail social et lutte contre l’apartheid
La cour reconnaît les motivations politiques de quatre pirates de l’air. Les femmes seront condamnées à deux ans avec sursis, les hommes à cinq ans ferme, qu’ils purgeront partiellement. La justice française avait néanmoins refusé leur extradition. Les époux McNair se réinsèrent à Caen (Calvados), où ils mèneront un travail social exemplaire dans le quartier populaire de la Grâce de Dieu. Un autre documentaire en témoigne : les Enfants de la Grâce de Dieu, de Delphine Aldebert.
Joyce Tillerson, de son côté, travaille à la Cimade, puis entre au bureau parisien de l’ANC, le parti de Nelson Mandela. Quand l’apartheid est aboli, elle travaille à l’ambassade sud-africaine à Paris, et meurt en 2000. George Brown a pour sa part mené une existence discrète. Il s’était marié en 2010 à la mairie du XXe arrondissement de Paris. La cérémonie avait été célébrée par la conseillère municipale George Pau-Langevin, actuelle ministre des Outremers [et non ministre déléguée à la Réussite éducative, comme indiqué à tort dans un premier temps] qui avait, en 1978, fait partie de l’équipe d’avocats qui avaient défendu les «Quatre de Fleury».